une chanson
que j'aimais écouter
il y a longtemps
Marlene
Marylin
dans plusieurs langues
j'aimais beaucoup ça
un texte qui dit
qu'elle craint le bonheur
car
s'il arrivait
le malheur pourrait lui manquer
je me sens loin de ce texte aujourd'hui
et je sais
oui je sais
que j'ai vraiment senti ça
en moi
il y a des années
la crainte
d'être séparée
de tout un tas de tristes idées
qui étaient en moi
le désir
de voir résolues des questions
mais pas trop vite
pas toutes à la fois
c'eût été
m'avait-il semblé
bien trop violent
d'avoir à changer ma façon de penser
trop rapidement
le chemin est long parfois
pour nettoyer sa propre pensée
accepter la joie
j'ai beaucoup aimé cette chanson
c'est sans doute
celle que j'ai le plus aimée
pas la première d'elle que j'ai chantonnée
puisque j'ai connu Lili Marlene
au cours d'allemand au Lycée
celle-ci me croisa lorsque j'avais 20 ans
dans une mise en scène
et cet air s'accompagnait d'un pas de danse
que nous effectuions à plusieurs
nous étions une bande de prisonnières
échappées d'une prison
nous dansions
dans des ruines imaginaires
sur cette chanson
la pièce s'appelait
Lovely Rita
de Thomas Brasch
il y avait aussi
J'ai sauté la barrière hop là
de Johnny Hess
qui définit si bien ce que je vis
aujourd'hui
puisque si la lourdeur s'empare de moi
et m'immobilise parfois de fatigue
mes idées sont
quant à elles
claires
là où elles furent longtemps si brumeuses
concernant mes choix
les choses se téléscopent parfois
j'avais commencé à répéter un spectacle en anglais
Passion, d'Edward Bond
et j'ai finalement d'abord joué dans deux autres spectacles
avant que le premier ne voie le jour
Karl Valentin m'a rattrappée
avec sa lettre d'amour
un monologue que je faisais en début de spectacle
assise en tutu romantique
immobile
sous un projecteur
tandis que les spectateurs entraient dans la salle
quand plus personne ne bougeait ou presque, je m'animais
et je lisais une lettre
incohérente
que j'aurais pu lire plus tard à diverses personnes
- je ne me connaissais pas encore
j'avais 20 ans j'étais petite
mais elle me définissait
sans que j'aie pu le pressentir
fichue lettre ! -
le monologue
c'est moi
si souvent
c'est mon sort
aimer s'exprimer en public
tout en étant timide
écouter les autres pendant des heures
et me retrouver seule pour écrire
tel est mon paradoxe
une scène que j'ai jouée des dizaines de fois
- en français en début de spectacle
en impro en allemand à la fin -
et la dernière fois
il y a 22 ans
avec une toute petite fille nouvellement arrivée
dans mes bras
qui participa aux improvisations
de fin de spectacle
maintenant
mes enfants ne m'écrivent pas
lorsque je leur écris
à leur tour
de me renvoyer du silence
puisque j'ai loupé un coche
puisque j'ai commis des maladresses
puisse cette douleur
s'apaiser
comme toutes les autres
et devenir si légère
et ne plus me mouiller immanquablement les yeux
lorsque j'y pense
ils sont nés de ça
de ces spectacles
éclairages
de ces voyages improbables
en camionnette
à travers l'Europe
il y a encore des barrières à passer
mais faut-il que je cesse d'écrire
pour parvenir à dialoguer ?
l'un exclut-il forcément l'autre ?
comme on se parlait difficilement chez moi
le soir
je m'épanchais dans des cahiers
alors j'ai appris ça
le dialogue sur du papier
ça n'aide pas franchement
dans les situations courantes
et je vois
tout autour de moi
tout plein de gens
qui se sortent admirablement
de situations dont je ne me sors pas
parce que j'ai trouvé refuge
dans des cahiers
à l'âge où l'on apprend l'art du dialogue
je n'ai pas connu l'alcool
ou la drogue
juste des mots
sur une scène
qui me faisaient virevolter
et ces voyages
la vie de troupe
avec parfois des personnes compliquées à supporter
- et vice-versa -
furent une merveilleuse école
oh il n'y a pas de document officiel pour attester de tout cela
de vieux programmes
quelques photos
des phrases qui reviennent parfois
tel pays traversé avant que la guerre n'y éclate
telle ville avant que la terre y trembla
des visages qui ne revinrent pas en festival
pourquoi écrire ça ce soir ?
parce que j'aime profondément les paradoxes