Wednesday, October 18, 2006

exilés de l'eden

Sommes-nous
en train de découvrir
ce que d'autres savent
depuis tout le temps?

Ceux qui savent que les petits enfants
ont en eux la sagesse des anciens
et qu'ils se respectent
comme tout un chacun

qu'ils savent
ce qu'ils ont besoin
de boire
de manger

qu'ils savent
quand ils ont froid
ou chaud
s'ils ont sommeil
ou envie de
faire des câlins?

Il nous aura fallu tout ce temps
tout ce chemin

pour revenir

simplement

à un eden

(mais est-il encore temps?))

En ouvrant ce livre,
j'ai eu les larmes aux yeux.
Je vous livre
la raison de mes larmes.

Imaginez l'obscurité du Grand Nord. Non comme un élément dans lequel le voyageur s'aventure avec crainte. Mais, pour les habitants de l'Arctique, comme une origine. Imaginez l'intérieur d'une tente de peau, d'un igloo, ou d'un préfabriqué gouvernemental à loyer modéré. Une nuit, dans ce foyer, une toute petite fille inuit s'éveille. On la prend dans les bras, on la nourrit, on la câline - et on lui parle.

Qu'entend-elle? Les voix de tous ceux qui sont là. La voix de sa mère, qui l'encourage à se nourrir. Des paroles qui répètent au bébé qu'elle peut décider quand manger, et quand arrêter de manger. Des mots d'approbation. Après son repas, le bébé s'assoupit. Avec des mots de bienvenue, sa mère la glisse dans son amautik, la poche formée par le capuchon de sa parka, où le bébé peut se reposer tout contre le dos maternel. Puis elle fait ses besoins. Sa mère, qui l'a sentie bouger, la sort et la maintient au-dessus du sol, tout en murmurant des encouragements. "Unakuluk, annatiakulugit." "Gentil petit bébé, fais un beau petit caca." Elle essuie le derrière de sa fille, en disant: "Kuinijuannu saluittutunai." "Magnifique et dodue, comme tu es belle et propre." Le grand-père maternel s'approche pour voir nettoyer sa petite-fille. Il se penche et, son visage tout près de celui du bébé, lui parle avec douceur: "Nuliakuluga. Nuliagauvit? Ii, nuliaga una." "Gentille petite épouse. Es-tu ma femme? Oui, tu es ma femme." La ère sourit en offrant sa fille à l'adoration de son père, et dit: "Anaanangai. Ii, anaanagauvit." "Mère? oui, tu es ma mère."

Dans ces mots, l'enfant perçoit les sons de l'amour, et elle se sait en sécurité. Sûre non seulement de pouvoir manger et dormir, mais aussi de le faire quand et comme elle l'entend. Car elle est porteuse de l'atiq, l'esprit et le nom, de sa grand-mère. Elle est l'enfant adorée; elle est aussi la mère de sa mère, et l'épouse de son grand-père. Sa grand-mère revit en ce bébé, ce qui signifie que l'enfant, doublement et triplement aimée, doit être traitée avec respect. Pas plus qu'à sa grand-mère, fût-elle encore vivante, on ne saurait lui refuser de la nourriture ou la priver des morceaux de choix, lui ordonner de dormir quand elle veut être éveillée, ou la gronder de s'être salie. C'est que sa grand-mère est vivante - en ce bébé, qui est aussi quelqu'un d'autre. Pour son grand-père elle sera toujours "épouse", et c'est sous ce nom, comme avec tous les mots de tendresse qu'il employait enver sa femme défunte, qu'il s'adressera à elle. Et la mère du bébé l'appellera indifféremment "fille" ou "mère".

Hugh Brody, Inuit, Indient, chasseurs-cueilleurs
Les Exilés de l'Eden
traduit de l'anglais (Canada)
par Sylvie Overnoy
Editions du Rocher
Nuage Rouge, 2003,
pp. 21-22

1 comment:

griffoninne_la_couche_tard said...

C'est magnifique ...Un rêve d'accueil de naissance .Une vraie bienvenue ...
Comme je me sens d'une civilisation de minables .Merci pour les références du livre .