Saturday, August 10, 2013

Je






ne sais pas si je dois, si je suis capable de choisir une partie de mon corps pour la distinguer du reste. J’aime tout, sauf la dent qui me manque sur le côté et que je compte remplacer dès que j’en aurai la possibilité. J’aime tout. C’est comme ça.

Ado, j’évitais les sandales pour ne pas montrer mes orteils, j’ignore pourquoi.  A 16 ans, je m’habillais de façon plutôt féminine. A 17 et pour plusieurs années, je me suis subitement camouflée sous trois épaisseurs de pulls, cheveux subitement raccourcis – quelqu’un était passé par là, de façon malsaine et totalement déplacée. Face à la prédation, il est prudent de se camoufler. Maman me reprochait de ne pas la laisser me toucher. J’étais bien en peine de lui expliquer le phénomène dont je n’avais pas conscience. La conscience remonte à la surface quand on y est prête, souvent longtemps après. Entretemps, je me suis enlaidie, longtemps.

Pendant ma vie de femme mariée, je me suis vêtue comme un sac : T-shirts ras-du-cou, pull et jeans en soldes choisis à la va-vite, mal taillés, très colorés - c’était ma priorité, le seul truc que je m’accordais. J’ai taillé mes beaux cheveux longs avant la naissance de mon second enfant, et je les ai laissés repousser plus de dix ans après. En fait, je me suis niée, je ne me suis pas vue. Mon ex-époux ne favorisait pas l’installation de miroirs dans notre maison, ni celle d’un éclairage suffisant. Donc je ne me suis quasiment pas regardée, pas vue pendant vingt ans. Pas besoin de me maquiller : je n’en ai jamais ressenti l’envie. Toujours pas aujourd’hui, où j’ai retrouvé de longs cheveux qui descendent plus bas que ma taille, avec des mèches blanches que j’affectionne particulièrement. J’aime mes jambes et, dans ma réconciliation avec mon image de moi, peu après ma séparation, j’ai pratiqué la jupothérapie - ainsi que sa petite sœur, la porte-jarretelle-thérapie. Après la jupothérapie, je m’adonne à présent à la courte-robe-thérapie, celle qui montre mes jambes et mes genoux aussi.  Moi qui allaitais mes aînés par en-dessous de mes T-shirts, j’allaite ma huitième par au-dessus, dans des décolletés ou de jolis tops d’allaitement. Les boutiques de vêtements de seconde main et le troc m’ont permis de tester toutes sortes de styles, moi qui n’avais jamais, au grand jamais trouvé le mien.

Voilà ce qui m’a amenée à découvrir ma féminité, après 40 ans, tout doucement. Ce qui m’amène à m’aimer. Mon ventre a porté huit bébés et ce qui le balafre, ce n’est pas une cicatrice de césarienne, mais bien celle d’une péritonite : quand on ne s’écoute pas, la vie vous envoie des messages détournés. Me voilà enfin aimée par moi, avec mon ventre plein d’amour qui a donné tous ces petits/immenses fruits.  Me voilà enfin en train de m’aimer et d’apprendre, dans le mouvement, à aimer mon corps. A lui offrir une bague  - offrir un cadeau à mon corps, c’est exceptionnel, pour moi.  Donc me voilà, moi. Voilà l’enveloppe que je trimballe depuis 45 ans. Avec des gestes réflexes hérités de la toute petite fille que j’étais. Même si chacune de mes cellules a été remplacée entretemps. C’est moi qui me regarde – et c’est ça qui est neuf, je crois – après avoir vécu auprès de personnes aux yeux desquelles j’étais transparente. Je ne suis plus transparente. J’ai perdu mes kilos de maman arrondie et je me suis enfin regardée. Pas pour chercher des défauts, comme à l’adolescence. Je me regarde et je me trouve belle, je trouve beaux mes seins qui descendent généreusement vers la bouche ou la main qui les veut et mon ventre qui a abrité tous ces êtres en devenir.  Si vous faites passer des âmes ici-bas, il faut bien que leur corps se fasse quelque-part.

J’aime que l’on me voie et je jouis de n’être pas transparente. De ne plus vivre en ennemie, en résistance, à proximité de personnes qui ne me voient pas. Je vais mieux.


Ce que j’aime avec mon corps, c’est qu’enfin il respire. Il est libéré d’un poids immense, de cette oppression catastrophique. C’est peut-être cela que j’aime le plus en moi : la respiration fluide d’aujourd’hui, à l’opposé de toute cette existence passée à me forcer à respirer, à me moucher parce que j’avais le nez encombré, et les souvenirs lourds de cette pneumonie où j’avais peur de ne pas finir la journée. La difficulté de respirer, que ce soit pour des raisons psychologiques, relationnelles et/ou mécaniques (bye bye les produits laitiers, vous avez fini de m'étouffer !) rappelle en moi l’angoisse. Ouf ! C’est passé. Que j’aime respirer ! Que j’aime exister.

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